Ayant grandi dans une famille haïtienne, deux choses marquèrent profondément mon éducation. La prépondérance du fait d'être noir, et l'influence viscérale de la religion. L'éducation chrétienne protestante définit longtemps mes barèmes moraux, et ma négritude mes préférences. Lorsque je me mis à me poser des questions profondes sur mon identité, je me rendis rapidement compte que ces dogmes ne pouvaient pas me permettre d'être complet. Sans cracher sur la chrétienneté ou la mouvance pro-black, je me rendis rapidement compte que je ne pouvais pas être moi-même en conjuguant principalement ces deux sphères identitaires, être moi était beaucoup plus subtil que cela.
Je l'avais toujours ressenti, maintenant je le savais. En étudiant mon histoire, celle de mon pays ancestral, celle du pays où je suis né, celle des pays d'où viennent mes plus lointain ancêtre, je constatai rapidement que ma couleur de peau était un rappel de mes origines, un drapeau dont je suis fier, un logo que j'arbore avec prestance, mais l'essentiel de ce que je considère mon héritage ne peut pas être simplifié à cela.
Que faire du fait que j'ai grandi dans un pays de blanc, que le français est ma langue première? Qu'on le veuille ou non, j'en ai tiré une richesse qui jusqu'à ce jour me définit en partie. Que faire du fait que mes plus lointains ancêtres venaient d'Afrique alors que l'haïtien moyen s'entête à dénigrer son héritage Kongo-Dahoméen. Quelle place dois-je accorder dans mon esprit aux aborigènes Carib-Taino qui se mêlèrent au sang d'Afrique dans le feu des colonies. Que faire de tous ces blancs... Allemands, Italiens, Syriens, Polonais, Français, Espagnol, Juifs et tant d'autres qui par l'amour ou la force parsèment en masse leur sang dans le nôtre? C'est la complexité de l'héritage identitaire.
Pour qu'on puisse le comprendre, on doit le figer, mais en le figeant, on perd toujours une partie essentielle de la chose. On oublie facilement que chaque peuple fut né d'un métissage. Équilibrer les tout fait partie de mes défis de vie, mon plus grand projet d'existence. Quel plaisir d'apprendre à connaître la subtilité de sa propre existence, vivre l'amplitude de nos multiples dualités.
Lorsque je n'allais pas bien, un ami à moi passa régulièrement me voir. Pas nécessairement à chaque semaine mais ça tombait toujours au bon moment. Il me redirigeait constamment vers la notion du plaisir., qu'il en ai conscience ou non. Samuel! On va à la plage! Samuel! On va faire venir des femmes! Samuel! On va prendre ça relax avec la clique devant une bière et un bon match. J'étais très sensible, je savais que lui aussi passait par ses propres moments troubles, et sa capacité à rester proactif m'impressionnait. Si similaire vécu différament. Il s'en faisait pour moi souvent plus que je ne m'en faisais pour moi même. Je le sentais profondément et pourtant, je ne me sentais jamais inondé par ses préoccupations.
Ce fût quelque chose qu'il me fût très dure d'obtenir du domicile familial. Il comprenait que pour un homme, la dignité c'est vitale. C'est l'amour qu'on se donne à soi-même, qu'on ne peut recevoir de personne, qu'on étouffe parfois chez l'autre de bonnes intentions.
Lui non plus n'était pas fortuné, mais il était toujours classe. J'avais longtemps perçu ce type de préoccupation comme étant vide et vain. Je ne voyais pas l'importance de briller autant, ces gens ne me connaissent pas, qui sont-ils pour exiger l'effort de cette particulière attention? Il me fit comprendre qu'au delà de l'image, il y a le symbole, que ces choses étaient moins superficielles que je ne le pense et plus profondes que je ne le crois. Il faut le demander aux femmes.
On se croit conscient, mais chaque personne écoute en lui deux voix. La première parle les mots d'un langage, la deuxième écoute la symbolique d'une action, ce que cache l'image, et parle d'impulsion. J'ai compris que je n'avais pas besoin de ces choses avant. Je m'organisais à la capacité de mes efforts à me sentir bien le plus souvent. Lorsque j'allais bien, c'était à mon avantage, lorsqu'on se déconstruit, c'est une malédiction. Ainsi, j'ai un peu compris l'essence de l'apparat. C'est un peu notre fond d'urgence pour gérer la distance des émotions, pour balancer ce qu'elle projettent, par sobriété ou amplification. C'est l'aspect humain de la chose..
La dépression c'est pour les vrais - Mieux comprendre la richesse des moins bon moments.
Samuel Laguerre
